Le réveil des initiés Chapitre 1 suite et fin

Jean Chevalier a une société de gestion de portefeuille. Son travail consiste à conseiller des investisseurs et de gros institutionnels américains, en vue d’acquisition d’actions sur les sociétés des indices CAC 40, SBF 80, Nasdaq et Eurostoxx. Il vient d’opérer un gros transfert de fonds sur les laboratoires pharmaceutiques Orion, leader des thérapies sur le sida. Grâce à son anticipation, son client avait dégagé une plus-value conséquente. La semaine dernière le consortium pétrochimique et nucléaire Nariva, publiait un communiqué de presse sur leur volonté de s’orienter sur les énergies recyclables. Pour Jean, le bluff ne faisait aucun doute mais le marché réagissait bien et il fallait être là au bon moment, et c’est ce qu’il fit.

Tout allait bien pour lui, sur tous les plans. Le plan professionnel, le plan sentimental… Une jeune femme venait d’entrer dans sa vie et pourtant il ne laissait pas beaucoup de place à la gent féminine.

Tout va bien dans sa vie, et celle-ci a beaucoup changé depuis trois ans. Il vivait ou plutôt survivait. L’argent, la vie à cent à l’heure, rien ne lui permettait de se fixer. Est-ce cela la vie ? Arrivé à la trentaine, il vécut une crise existentielle.

Il avait entendu parler de la franc-maçonnerie mais ne connaissait pas de franc-maçon. Il y a quatre ans, il fit une démarche solitaire ; il écrivit un courrier à la Grande Loge Nationale Française, faisant acte de candidature.

Celle-ci donna suite, il dut alors se soumettre à des enquêtes. Ses enquêteurs sondèrent sa vraie personnalité et lui apprirent plus sur lui au travers de leurs regards qu’en quinze années de réussite professionnelle. La façon dont-il ressentait les événements présageait d’un futur chamboulement.

Il est de coutume que chaque nouvel arrivant soit parrainé. Dans le cas de Jean Chevalier, il n’en procédait pas ainsi car il s’agissait d’une candidature spontanée. Pour ce cas de figure, le responsable de l’atelier ou de la loge remplissait ce rôle. Cette année-là, ce responsable que l’on appelait Vénérable Maître, se nommait Jean Bonnefoy.

Jean Bonnefoy remplit consciencieusement son rôle de Parrain adoptif et ce rôle s’arrêtait ce soir car son filleul allait être élevé au grade de Maître et donc voler de ses propres ailes.

Cette soirée sera la sienne ; la métamorphose maçonnique franchira une nouvelle étape qui l’éloignera encore plus de l’homme d’avant.

Il faisait partie des initiés.

Il trouva enfin une place de stationnement à 18h00 et largement en avance. Il quitta sa voiture et se dirigea vers un immeuble discret où il disparut.

Lorsqu’il reviendra, il ne sera plus jamais le même homme.

Le professeur

Comme vous le voyez, les dés sont jetés. Les successions troublantes d’événements émaillent cette rencontre. Les hasards, les similitudes, le symbolisme convergent vers une filiation qui nous montre bien que ces deux hommes forment une charnière d’ordre spirituelle.

Que va-t-il se passer, au-delà de cette rencontre ? Personne ne le sait. Lorsque l’on connaît la vie complète des deux Jean, il est aisé de procéder à un flash-back, pour s’apercevoir que beaucoup d’événements ne sont pas dus au hasard. A ce niveau de lecture les contretemps, qui mettent, sur le même chemin, l’ancien et le jeune, deviennent des évidences. Cela ne se passe pas ainsi, dans la vie, car nous n’avons pas l’éclairage de la fin, pour faciliter notre présent. Car tout est une éternelle construction, pas après pas, brique après brique, pour aboutir à une finalité.

Comme une grande gare, où l’on verrait partir de nombreux trains, la difficulté se focalise plus sur le fait de choisir le bon train que de partir. Là où l’homme peut se poser de nombreuses questions existentielles, sachant que dans notre exemple, il y a deux choix possibles : monter dans un train, mais lequel ? ou le regarder partir, car il n’est que le train de l’illusion.

Mais à quoi sert-il de suivre une démarche ésotérique, mystique ou religieuse tendant à l’amélioration de l’être, si cette métamorphose n’a aucun impact sur le monde réel ?

Depuis le commencement des temps, l’homme s’inscrit dans le paradoxe animal – humain.

Il est un animal, et en tant que tel, ses vraies questions et problématiques sont : manger, boire et survivre, pour la conservation de l’espèce, et c’est ce qu’il a fait.

Les découvertes de la domestication animale, loup, équidé, bovidé, l’ont démarqué des autres mammifères, en lui donnant une suprématie. Quel en a été l’élément déclencheur ? la main ou le cerveau ? la main a-t-elle fait le cerveau ou le cerveau, la main ? Pourquoi cette parenthèse sur l’évolution humaine ? Uniquement pour vous rappeler que la domestication des animaux, puis la domestication des plantes, par l’agriculture ; puis la domestication de la pierre par la transformation de minerais en bronze  et fer et autres métaux et alliages ; puis la domestication du vent et de l’eau par leur transformation en énergie et la domestication de l’atome en énergie si puissante, qu’elle se rapproche de la toute puissance du soleil.

L’ensemble de ces évolutions donne un statut divin à l’homme, sur les autres règnes de la terre.

Le concept initial, de manger, boire, se reproduire devient un acquis du monde occidental, et beaucoup d’êtres humains restent dans cette fonction basique, dépassée depuis des millénaires.

La vrai démarche est d’aller plus loin, en se posant les trois questions : d’où je viens, où je suis, où je vais.

A cette époque, l’existence de Dieu ou du principe ne semblait pas établie pour l’ensemble de l’humanité. Et ceux même qui s’en inspiraient, détournaient cette notion d’une manière intégriste et guerrière.

Je vous rappelle que le monde profane ne s’oppose pas au monde sacré, mais que ces deux mondes cohabitent et ont réciproquement besoin l’un de l’autre.

Cette notion est fondamentale car en son absence,  la Bible, le Talmud, la Tora, le Coran … seraient relégués à l’état de vieux grimoires sans intérêt.

La suite de notre aventure développera  ce thème.

Ecoutez …

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Le Réveil des initiés – Chapitre 1 – La franc-maçonnerie, les deux Jean.

La franc-maçonnerie, les deux Jean.

Chapitre I

Jean Bonnefoy a rencontré la franc-maçonnerie il y a plus de trois décennies.

A cette époque, ses connaissances livresques, ses études personnelles n’arrivaient plus à le satisfaire.

Il pressentait que seul il ne pouvait rien, et qu’il vivait une étape de sa vie où il devait faire un saut. Mais quel type de saut, un saut dans l’inconnu ? Certes, mais avec un objectif. Celui d’aller plus loin dans la compréhension du monde. Il acquit la certitude d’être au maximum de ses moyens solitaires et qu’il n’irait guère plus loin. Qu’il devait rencontrer son maître, ou tout du moins, l’homme qui le mettra en selle vers sa destination finale.

Il avait alors la trentaine et se sentait mûr pour être aidé, mûr pour accepter l’aide d’autrui et surtout mûr pour la recevoir…

Ce soir, comme tous les troisième et cinquième lundis de chaque mois, excepté juillet et août, et ce depuis trois décennies, il organisait comme toujours sa vie profane de chef d’entreprise autour de cette fenêtre ouverte sur le monde sacré et le temps sacré de la franc-maçonnerie.

Jean se rappelle parfaitement le programme de la soirée et le point d’orgue est l’élévation au sublime grade de Maître du frère compagnon JC.

‘JC’, il le connaissait bien ce compagnon : Jean Chevalier Un jeune, très intéressant, avec qui il partageait son prénom et entretenait des liens d’amitié très forts.

En Maçonnerie, nous sommes tous frères mais il y a toujours des affinités plus profondes.

Bonnefoy considérait Chevalier en quelque sorte comme son fils spirituel.

Il jubilait d’assister à l’élévation de son ami. Une fois à ce grade, il pourra faire sauter certains freins et verrous à leurs discussions. Jamais on ne divulgue un secret à un frère qui n’a pas atteint le grade concerné. L’harmonie qu’il allait vivre ce soir est unique, et personnelle.

Dans le monde initiatique, la vie ne s’écoulait pas de la même manière que dans le monde de tous les jours. Il rejoignait un groupe en parfaite symbiose avec ses objectifs : le travail sur soi, l’amélioration de soi et par ricochet, l’amélioration du groupe et enfin l’amélioration de l’humanité, vaste programme.

Ce principe permettait d’associer dans la même démarche de perfection des chrétiens, des musulmans, des juifs, des animistes, il pouvait être incarné par la nature elle-même, quoi que plus rarement. L’ensemble de ses frères pratiquait  peu, mais croyait tous.

Il regrettait qu’ils fussent pour la plupart non mystiques. Le principe réincarnationniste auquel il adhérait,  ne rimait pas avec franc-maçonnerie. Les enfants de la veuve, comme ils avaient coutume de s’appeler, vivaient et travaillaient dans l’ici et maintenant, sans se poser de question sur un éventuel karma ou plan de vie.

Jean savait que sacraliser ou désacraliser la notion de croyance en Dieu, ne rimait à rien. Que l’on croit ou non à cette notion. Que l’on soit catholique avec l’idée de paradis, d’enfer, de purgatoire, de fin des temps. Que l’on soit musulman entouré de vierges, ou franc-maçon. Il faut vivre, avec la pleine et entière responsabilité de ses actes, dans l’immédiateté.

Ce n’est pas la peur de Dieu qui doit guider nos pas, l’important c’est de prendre des décisions qui vous semblent justes, ce n’est pas forcément la justesse de la décision qui importe. Quand il y a adéquation entre les deux, bien évidemment, c’est nettement mieux.

Ce soir après cette tenue, il allait se coucher moins bête qu’il ne s’était levé. Ce monde sacré conjuguait le verbe être plutôt que le verbe avoir, et une fois de retour dans le monde de l’avoir, il devenait plus facile d’exister véritablement. Il y a des différences fondamentales entre un initié et un non initié, et celles-ci sont difficilement quantifiables, plutôt que de longues exégèses on pourrait simplement dire que  la différence entre un initié et un non initié, c’est que l’initié, lorsqu’il agit mal, le sait !

Il arrive enfin, et cherche une place de stationnement. Il est temps. Il jette un œil furtif à l’horloge digitale de sa voiture : 19h37. Jean commence sa manœuvre quand le carillon de la radio retentit, annonçant un événement de la plus haute importance. Il monte le son.

« Nous interrompons nos programmes pour un flash spécial. Nous venons d’apprendre qu’un attentat a frappé la gare Montparnasse ; jusque-là épargnée, la France paie aujourd’hui un lourd tribut au terrorisme islamique.  L’attentat qui a eu lieu cet après-midi dans la gare parisienne, en pleine heure de pointe,  a fait de nombreuses victimes. Le bilan provisoire fait état de 247 tués et d’un  millier de blessés. Cet attentat de grande ampleur est le premier qui touche la France. A cette heure nous n’en savons pas plus, nous reprendrons l’antenne dès que d’autres informations nous parviendront ».

Un coup de klaxon rageur ramène Jean à la réalité de l’automobiliste qui trouve son créneau beaucoup trop long.

Il se gare enfin et coupe son moteur.

Il sent que cette nouvelle est désastreuse, mais son costume sombre file déjà d’un pas rapide, dans les rues de Paris,  pour s’engouffrer dans un immeuble discret.

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Le Réveil des initiés – début du roman – premier épisode – le professeur


Roman
LE RÉVEIL DES INITIES

Le 30 octobre 4008.

Programme des cours : option théologie, légendes et mythes.

Cours des premières années.
L’an zéro : Jésus Christ.
L’an mille : le roi Arthur.
L’an deux mille : Jean Bonnefoy et Jean Chevalier.
Cours des deuxièmes années.
L’an trois mille : programme non communiqué.
Cours des troisièmes années.
L’an quatre mille : programme non communiqué.

                                                    Le professeur

 

Bonjour à tous,

Je vais vous conter aujourd’hui l’histoire de deux destinées, celle de Jean Bonnefoy et celle de Jean Chevalier.

Cette aventure se déroula durant la première partie du 21ème siècle.

Pour être plus précis, je vais vous conter la destinée commune de ces deux hommes.
Tout le monde a un destin et se doit de  suivre sa destinée.
Mais peut-on dire qu’il y a des grands ou des petits destins qui aboutissent à des grandes ou à des petites destinées ?
Le souffle que vous avez inhalé en naissant, il faudra le rendre à votre mort, c’est inéluctable et entre ces deux événements, il y a votre chemin de vie, karma ou destinée.

Il est évident que votre cas personnel est de loin le plus important mais, l’analyse du cas d’un autre, peut vous aider dans votre démarche car vous passez alors de l’état d’acteur à celui d’observateur. Il est donc important de ne pas sous-estimer sa vie, et de se donner par la même occasion, le prétexte de ne pas se réaliser.

Vous êtes important !

Même si le monde ne se souviendra pas de vous comme il se souvient de Platon, Socrate, Napoléon et de bien d’autres encore… Les illustres ne sont illustres que par le bien qu’ils ont généré et à la mesure de leurs connaissance et acquis. Tout le monde est illustre à sa manière s’il réalise le pourquoi il est là, entre l’inspire et l’expire, d’une longue vie humaine, une étincelle du feu cosmique.

Tout cela peut sembler compliqué, je le concède.

L’histoire qui va suivre ne parle pas de votre destinée mais de celle de deux francs-maçons qui pourraient être vous. Il y a beaucoup à dire sur la notion de secret, il y a les petits et les grands secrets. Si je vous dis que le secret avec un grand ‘S’, est qu’il y a une parcelle Divine en nous et que si vous la réveillez par l’exercice du bien, de la bonté et de l’amour, vous réintégrerez le paradis et siégerez à la droite du Père.
A supposer que cela soit le SECRET, le fait que je vous le dise ne vous servirait à rien, car il aurait fallu que vous l’appréhendiez seul ; en effet, il n’y a de secret que ce que vous découvrez par vous-même.
Le monde du spirituel est propice au grand destin, c’est donc pour cette raison que les racines de l’histoire puisent leur source dans cet ordre moderne. Maintenant il est possible que vous découvriez un parallèle entre Jean Bonnefoy l’ancien et Jean Chevalier le jeune et une histoire qui se déroula 2000 ans en arrière en utilisant les mêmes prénoms.

En effet, les mythes se répètent.

Commençons donc cette histoire dans la chronologie par la rencontre des ces deux hommes. Après, seule la mort pourra essayer de les séparer… mais ceci est une longue histoire.

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La rêveur épisode 3 / 3

Le rêveur.
Épilogue.

Episode 3 / 3

Une année s’était écoulée depuis cette rencontre et une petite Elodie avait vu le jour. Une famille recomposée parfaitement réussie. Tout y respirait l’amour,  la joie, la paix et l’harmonie. Bien souvent nous prenons conscience de notre bonheur une fois l’avoir perdu. Myriam et Pierre avaient déjà fait cette erreur, ils vivaient intensément leur liaison, profitant de chaque journée, de chaque minute. Un optimisme indestructible et une attitude toujours positive.

L’effervescence des préparatifs de noël agitait leur petite planète. Cette période de festivités obligatoires qui cimente les gens heureux et creuse des fossés pour ceux qui ne le sont pas. La maison brillait de mille feux, les guirlandes enrubannaient les arbustes du jardin et un père noël tentait depuis plus d’une semaine d’escalader le toit. On devinait au travers des carreaux blanchis par la neige artificielle la crèche et le sapin chichement décorés.

Le carillon de la porte retentit.

  • Chéri tu peux aller ouvrir je m’occupe de la petite
  • Oui j’y vais

Il ouvrit largement sa porte et fut bousculé par la vision de l’être en face de lui. Sous l’impact il recula d’un pas, le souffle coupé, la bouche entrouverte prête à parler ou à crier. Ses mains crispées sur la poignée attendaient l’ordre de claquer la porte à l’inconnu. Sa perception de l’individu lui créa un choc émotionnel visuel et olfactif. L’odeur totalement inconnue qui se dégageait de l’homme en face de lui, agressait ses sens. Il sentait la mort comme si celle-ci pouvait avoir une odeur spécifique et concerner quelqu’un qui ne l’était pas. Son aspect repoussant glaçait les regards. Un homme à la dérive ou malade, les traits creusés, les yeux enfoncés dans les orbites, un regard terne et morbide, sans la moindre étincelle de vie et d’humanité. La barbe naissante qui mangeait son visage ne le rendait pas sympathique. La posture du corps ramassé sur lui même, comme écrasé par un poids invisible qui lui faisait courber l’échine, lui donnait l’allure d’une bête blessée et maladivement dangereuse. Il regardait Pierre dans les yeux, de bas en haut, on y lisait la peur et la détresse, et en même temps Pierre eut le sentiment que cet homme qu’il ne connaissait pas le haïssait.

Il sursauta lorsqu’il parla.

  • Je veux voir Miriam.

Instinctivement Pierre répondit que c’était sans doute une erreur car il n’y avait pas de Myriam ici et fit mine de refermer la porte. L’homme la bloqua avec son pied et refit sa demande avec une insistance froide et déterminée.

Pierre appela Myriam sans quitter l’homme des yeux, elle confia Elodie à sa fille aînée et les rejoignit. Pierre s’écarta pour la laisser passer. Myriam poussa un petit cri et se statufia devant l’étranger  Elle bredouilla.

  • Jean ? Jean ! c’est toi Jean ?
  • Oui c’est moi.
  • Comment … comment en es tu arrivé là ?

Il éclata en sanglot et se jeta au pied de la jeune femme.

  • Myriam je t’en supplie, aide moi, aide moi.
  • Mais que puis-je faire pour toi ?
  • Myriam aide moi, je t’en supplie.JE NE RÊVE PLUS.
  • Je ne puis t’aider, la page avec toi est définitivement tournée. Le rêve n’a jamais été la vie, c’est la vie qui peut devenir un rêve. Mais cela, tu l’as oublié, car la vie ne fait de cadeau qu’a ceux qui l’assument et la respectent. Reprends-toi s’il en est encore temps. Je suis sincèrement désolée.

Elle le repoussa et il ne résista pas.

La porte se referma et  plus jamais personne n’eut de nouvelles de lui.

La police mena pourtant une enquête sérieuse et questionna les riverains. Le seul maigre témoignage qu’elle joignit au dossier, fit état d’un homme au costume sombre marchant aux cotés de Jean dans une rue du voisinage.

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La rêveur épisode 2 / 3

Tiré du recueil de nouvelles « une autre façon d’aborder l’étrange »
par Bruno Le Guen (2007)

Feuilleton épisode 2 / 3

Le rêveur.

Deuxième partie.

Myriam.

Cela faisait plus de quatre mois que sa vie avait basculé, autrefois et c’était il n’y a pas si longtemps, elle était une femme mariée. Pourtant elle ne se souvenait plus bien de cette vie là. Jean son époux et père de ses deux filles, Hélène et Sophie l’aimait et elle l’aimait aussi. Tout n’était pas rose, comme dans tous les couples, des hauts et des bas et des réconciliations sur l’oreiller. Elle pensait qu’elle vieillirait avec lui et qu’ils verraient grandir ensemble leurs enfants.

Un soir comme les autres, ou plus précisément un soir de déprime, ses enfants en colonie de vacances lui manquaient terriblement et son mari n’avait pas pris conscience de son mal-être. Myriam, les nerfs à fleur de peau, tournait en rond dans la maison, inactive. Un rien, un moins que rien mit le feu aux poudres conjugales. Un prétexte pour faire lit à part, une migraine lui taraudait le cerveau.

Le lendemain elle ne supportait toujours rien et se coucha tôt dans la chambre d’ami, après quelques mots bien sentis pour éloigner son mari.

Allant mieux et prise de remords, elle décida le jour suivant de se réconcilier avec lui, ils firent l’amour et dormirent ensemble. Voilà, un problème classique au féminin, mais le jour qui suivit tout se détraqua. Elle ne comprit absolument rien à ce qui lui arrivait.

L’homme qui vivait avec elle, son compagnon, était devenu méconnaissable. Il déployait envers elle une agressivité sans pareille, une haine, une répulsion. Elle ne trouvait pas de mots assez forts pour décrire cette situation qui fit basculer sa vie de femme au foyer,  sans emploi et donc sans revenu. Sa subsistance dépendait uniquement de son homme. Ils en avaient fait le choix, d’un commun accord, à la naissance du deuxième enfant et en attendant de faire le troisième.

Pour Myriam la traversée du désert commençait… Elle venait de se séparer de son mari, la procédure de divorce enclenchée.

Les mois passèrent interminablement. Si seulement elle avait été seule dans cette épreuve ! Non, Sophie 15 ans et la petite Hélène 13 ans lui rappelaient ses responsabilités. Une charge par moment, mais plus souvent un réconfort. La faible pension obtenue du juge, additionnée aux aides gouvernementales lui permettait à peine de vivre. La petite famille se trouvait plus au stade de la survie. Elle venait à peine de trouver un CDD de 6 mois, remplaçant une secrétaire titulaire, que la mauvaise nouvelle tomba.  La pension n’arrivait plus sur son compte en banque. Son ex-mari injoignable, son ancienne société lui apprit qu’il avait été licencié depuis longtemps, son appartement hébergeait désormais un jeune couple. Elle ne savait plus vers qui se retourner. Le père de ses filles devenu introuvable ne donnait aucun signe de vie. La vie lui donnait une horrible impression de la freiner dans ses actions, la faisant reculer de deux pas alors qu’elle venait de progresser de trois.

Un midi dans un café, le dernier jour de son contrat à durée déterminée, elle réfléchissait à son avenir. Elle avait espéré jusqu’à la dernière minute, que la société qui l’employait lui proposerait un contrat à durée indéterminée. C’est bête, mais cet espoir sans fondement lui permit de vivre mieux, elle se donnait sans compter, rentrant tard le soir. Une autre journée commençait alors : les courses, le linge, le ménage, les devoirs, les chamailleries des gamines, les petits et les gros chagrins aboutissant à des petits et à de gros câlins, la paperasserie, les tracasseries administratives,  quelquefois des menaces d’huissiers lorsqu’elle avait du mal à joindre les deux bouts … Elle habitait dans une tour, vu ses moyens, elle qui cocoonait depuis presque vingt ans dans une maison de banlieue avec un jardinet, se faisant appeler Madame. Aujourd’hui on l’appelait toujours Madame, cela n’avait aucun sens. Une mademoiselle, cela signifie quelque chose, une vraie madame également. Elle pensait que l’on devrait trouver autre chose pour nommer une femme divorcée, elle qui avait raté son bac plus deux,  avait obtenu avec succès son divorce plus deux enfants. Son environnement la désespérait. Les gens de peu de moyens se regroupent, comme les gens aisés s’entassent dans les beaux quartiers. Elle aimait cette notion d’entassement, dans son cas il s’agissait de promiscuité plus ou moins glauque, voire dangereuse. Les cages d’escalier devenaient un endroit très menaçant, des coupe-gorges à certaines heures de la nuit.

  • Bonjour Madame

Une voix grave, profonde, très masculine interrompit les pensées de Myriam. Elle leva les yeux vers l’inconnu. Devant elle se trouvait un homme comme elle n’en avait encore jamais vu, ni dans les magazines, ni à la télévision, ni au cinéma. Une sensation indescriptible. Il émanait de lui tout ce qu’on pourrait attribuer au concept même de masculinité virile archétypale. Il aurait pu être un guerrier, un soldat, un combattant des anciens temps. Il dégageait de lui une puissance qui lui donnait une apparence d’invulnérabilité. Une stature un peu au dessus de la moyenne, un corps élancé, on devinait une musculature puissante, animale. On devinait car l’homme était vêtu d’un costume de très bonne coupe.  Son visage indescriptible, une nationalité de type  européenne, sans pour autant être affirmatif.  Des traits fins à la fois durs, et surtout un regard qui irradiait une force que rien ni personne ne pouvait mettre en doute.

  • Bonjour Madame.
  • Bonjour Monsieur, vous … je vous connais ?
  • Non pourquoi ? puis je m’asseoir à votre table.

Un rapide coup d’œil sur la salle du café pour s’apercevoir qu’il ne restait plus qu’une place de disponible. Le café-restaurant s’était rempli comme par miracle par une meute de retardataires de la pause déjeuner.

  • Oui, bien sur, je suis stupide, il n’y a qu’une seule place
  • Merci

Il s’assit et commanda un steak tartare – frites avec de la bière et mangea en silence en la regardant indirectement. Myriam sentit un malaise mais ne put prendre la décision de partir séance tenante. Comme si son magnétisme l’hypnotisait. Il rompit le silence.

  • Vous m’avez demandé si je vous connaissais. je ne vous connais pas et je le regrette mais je pense connaître votre mari.
  • Vous connaissez Jean ?
  • Jean, oui c’est lui. Je vous ai vue une fois dans un magasin avec cet homme et deux fillettes, vos filles je présume.
  • Oui Hélène et Sophie, vous connaissez Jean ?
  • En effet, pas très bien, j’ai rencontré cet homme dans un café, il disait s’ennuyer dans la vie mais vous voyant maintenant je ne comprends plus sa définition de l’ennui. Vous êtes une très belle femme.

Myriam sourit d’une façon gênée et, en détournant son regard des yeux de l’inconnu elle croisa le sien, dans une glace du café. L’image qu’elle lui renvoyait, était celle d’une femme très féminine, la sagesse de son chemisier ne pouvait dissimuler ses formes, même ample le vêtement se resserrait sur sa taille fine et dans la logique de son corps, la table camouflait ses jambes fuselées. Elle se fixa un court instant dans les yeux, oui, c’était vrai, elle était belle et l’avait oublié.

  • Quels sont vos rapports avec Jean ?
  • Aucun je l’ai écouté longuement et j’ai bien noté, sans vous offenser, qu’il voulait que sa vie change. Il aspirait à autre chose, à plus d’intensité. Voilà, il s’est épanché sur moi et je l’ai écouté. Et vous, vous ne souhaitez pas au plus profond de vous même que votre vie change ?
  • Oui, mais Jean ?
  • Je ne l’ai jamais revu et apparemment vous ne le voyez guère en ce moment.
  • Non, nous nous sommes séparés très brusquement. Il a disparu de ma vie sur tous les plans, y compris le plan économique, alors j’ai du assumer, c’est très dur, surtout avec mes filles … Excusez moi, je ne vois pas pourquoi je vous raconte tout cela.
  • Je dois inspirer les confidences, vous savez, je connais beaucoup de monde et une femme avec autant de charisme et de beauté que vous, ne devrait pas se faire trop de souci pour gérer son existence. Si vous le souhaitez je peux vous ouvrir certaines portes.
  • J’espère ne pas comprendre entre les mots, il n’y a qu’une seule façon de voir la vie en associant la beauté d’une femme et sa réussite…
  • Une seule, non, il faut juste savoir d’où l’on part et où on veut aller et pour qui. Pour vous, cela sera simple d ‘améliorer votre condition actuelle.
  • Que savez-vous de ma condition actuelle. Je me bats pour que la vie me sourit et je dois apprendre a être patiente.
  • Vous pouvez patienter toute votre existence si le sort s’acharne sur vous
  • Pourquoi le sort s’acharnerait il sur moi ? Je ne le mérite pas.
  • Les voies qui prennent du recul sur le mérite sont souvent plus efficaces et plus rapides. La nature vous a dotée d’atouts que vous n’utilisez pas.
  • Je suis désolée, j’ai des principes et même des croyances. Je ne sais pas pourquoi j’ai dialogué avec vous d’une manière aussi intime, je dois partir.
  • Vous n’êtes pas pressée vous n’avez plus de travail ni de revenu.
  • Comment savez-vous cela ?
  • J’ai dit cela au hasard, bon, peut-être à une autre fois.

L’homme se leva, lui sourit et s’inclina pour la saluer, paya et partit ; la classe à l’état pur. Il était trop beau pour être vrai. Myriam leva les yeux sur la salle comme pour reprendre contact avec une certaine forme de réalité. A son grand étonnement elle s’était totalement vidée sans qu’elle ne s’en aperçoive. Il ne restait plus qu’elle et le serveur qui la regardait avec agacement, impatient de débarrasser le dernier couvert. Elle fouilla dans son sac à main pour en extirper les 11€50 du menu et finalement n’en fit rien,  le billet de 100€ dans la coupelle laisserait si elle calculait bien 88€ de pourboire au garçon impatient. C’était la première fois qu’elle voyait un billet de cent dans de telles circonstances. Une fois dans la rue, elle balaya du regard les environs à la recherche de l’homme au costume sombre, il avait disparu. Elle secoua la tête en fermant les yeux, comme le ferait un chien sortant d’une mare, et se concentra sur son avenir incertain. Quelque part, elle venait de refuser l’argent facile, ne sachant même pas d’où il venait, un hurlement de joie jaillit du café…

  • Non, Madame, je n’ai rien à vous proposer aujourd’hui, revenez mardi prochain, j’entre de nouvelles annonces.
  • Avez-vous bien regardé ?

Le fonctionnaire  de l’agence pour l’emploi haussa les épaules, et appela ‘le numéro 121’.

Cette scène là passait en boucle dans sa vie.

Une bonne année s’était écoulée depuis que Jean ne donnait plus signe de vie. Ses finances s’amenuisaient et une fois retirés les frais incontournables, le peu qui restait profitait à ses filles, profiter étant un bien grand mot. Il fallait bien présenter pour trouver un travail et la garde de robe de Myriam n’évoluait pas. Sa plus belle tenue vestimentaire ne sortait que pour les entretiens, ce qui faisait dire à ses interlocuteurs, ‘vous n’êtes pas frileuse Madame’ ou ‘Vous êtes un grande frileuse Madame’, tout dépendait de la saison du rendez-vous. Le reste du temps elle n’attirait guère les regards.

Elle disait souvent à ses filles que l’argent attirait l’argent et que la pauvreté attirait la pauvreté, mais quand on est pauvre on peut se permettre une certaine  philosophie. Elle disait que la véritable valeur n’est pas celle que l’on croit et citait la bible, avec son histoire des premiers et des derniers. Les grands sages de ce monde ne possédaient rien sur le plan matériel. Il y en a même qui ont perdu l’ensemble de leur richesse et de leur  renommée, pour, par la suite devenir sages, Saint François D’assise par exemple.

Le principal c’est qu’elle y croyait sincèrement. Elle  avait certainement raison, et vivait mieux sa situation. Myriam se disait en elle-même que l’homme au costume sombre lui aurait répondu « qu’il est aisé de citer la bible quand on appartient  au clan des derniers, mais les saints sont des exceptions, en moyenne personne n’est heureux d’être pauvre. La pauvreté aboutit plus souvent au suicide,  à l’alcoolisme, la drogue, les larcins petits et qui finissent par grandir, bref, elle n’aboutit pas à la sainteté ni à la philosophie, mais à l’aigreur, la jalousie, l’envie : au  mal vivre ».

Un matin, elle se rendait comme d’habitude, aux bureaux des administrations et des agences d’intérim. Elle devait pour le faire, quitter les immeubles et se diriger vers le centre ville, mais comme il faisait beau elle allongeait son parcours en traversant une zone pavillonnaire. A bien y réfléchir, le beau temps n’y était pour rien, qu’il pleuve, vente ou neige, elle choisissait cet itinéraire, et elle savait pourquoi. Quel bonheur de voir ces maisons, ses jardinets, d’entendre le bruit des tondeuses et des cris d’enfants en provenance des piscines en plastique. De voir les bonhommes de neige, les jours où le blanc et le principe de précaution clouaient au sol les bus scolaires. Le linge qui séchait sur les fils, la peinture fraîche sur les barrières, les chiens qui aboyaient ou remuaient la queue à son passage. Tout ceci lui rappelait les jours heureux avec Jean et elle ne voulait pas oublier.

Un vendredi soir de juin, elle rentrait chez elle, heureuse. Elle venait d’obtenir un contrat d’intérim de trois mois, un remplacement en secrétariat. A chaque fois que sa situation devenait vraiment critique, un coup de pouce du destin relançait les choses, confortait ses droits ou lui apportait de nouveaux revenus. Juste pour que sa tête reste en dehors de l’eau. Elle remerciait toujours intérieurement cette providence, même si celle-ci ne faisait pas beaucoup d’efforts pour elle. Myriam trottinait dans le lotissement quand une voix l’interpella.

  • Bonjour Madame.

Elle se retourna et vit un homme tenant un sac qui lui souriait, elle lui retourna son bonjour et attendit.

  • Voilà, excusez-moi, on ne se connaît pas, je me mêle peut-être de choses qui ne me regardent pas, puis-je vous parler ?
  • Oui, je vous écoute
  • Voilà, comment vous le dire. Je suis veuf, ma femme m’a quitté il y a trois ans de cela, un accident de voiture.
  • C’est terrible !
  • Oui, vous devez vous demander quel rapport il y a avec vous ? Et bien je vous vois passer souvent devant chez moi à tel point que  j’ai l’impression de vous connaître depuis longtemps. Je travaille ici. Vous  passez presque tous les jours à heure fixe devant ma fenêtre et  fréquemment  avec les mêmes vêtements qui ne sont pas  toujours adaptés avec la météo. Je me suis dit que j’avais beaucoup d’habits de mon épouse. A l’époque je n’avais pas voulu m’en séparer, mais maintenant, je pense, enfin si vous voulez j’ai fait une sélection  dans ce sac.
  • Je ne sais pas trop quoi vous dire, ce sont les habits de votre femme décédée.
  • Vous savez dans les bourses aux vêtements ou dans les foires à tout, personne ne sait s’ils appartiennent à des vivants ?
  • Je ne dis pas cela par rapport à la mort, mais par rapport à vous, voir passer une étrangère avec les habits de votre femme, le matin sous vos fenêtres.
  • Si un jour nous pouvions parler plus longuement  je vous dirais par où je suis passé et où je veux aller. Mais aujourd’hui la seule chose qui m’inquiète est de ne pas heurter votre sensibilité. Vous ne me semblez pas très riche et je souhaite seulement vous aider en vous les donnant et quelque part je m’aide moi même.

Myriam réfléchit, le silence s’installa, elle regarda cet homme, il était beau. Ses yeux bleus semblaient délavés et tristes, et peut-être un peu plus de rides d’expression que de normal  pour son âge. Un quadra sans aucun doute. Un homme qui respirait la franchise et la bonté, elle lui dit oui, le remercia et prit le sac en scellant le marché avec une poignée de main vigoureuse et l’échange des prénoms, il s’appelait Pierre.  Je suis content que vous ayez accepté lui dit-il, et vous me rendrez le sac plus tard. Une fois dans son appartement elle déballa les affaires et les essaya. Purement incroyable, tout était fait pour elle. Et attention que de la marque. Sophie et Hélène applaudissaient. Les trois femmes sourirent, elles avaient la même taille toutes les trois.

Le week-end qui s’ensuivit fut long, laborieux, ennuyeux, il s’éternisait lamentablement. Une chose importait vraiment à Myriam : le lundi. Le jour où elle passerait devant la maison de Pierre, en faisant semblant de ne pas regarder, tous les sens en alerte, prête à réagir au moindre son. Ce lundi finit par arriver mais rien ne se passa comme dans ses rêves, la maison resta porte close et ne donna pas signe de vie, pourtant les volets restaient ouverts. Jour après jour la déception balayait les espoirs échafaudés la nuit et elle dut à nouveau affronter un week-end. La semaine qui s’ensuivit coïncidait au début de son trimestre d’intérim, et son trajet ne lui permettait plus de longer la maison de Pierre. Elle se concentra sur son nouveau travail s’y accrochant comme à une bouée de sauvetage, pour ne pas penser à autre chose. Elle  tissa sa toile comme beaucoup de gens sur le thème : je suis heureuse car je travaille, j’ai un toit  je suis en bonne santé ainsi que mes deux filles qui m’aiment. Ce qui n’est pas faux dans l’absolu mais restrictif dans l’intensité du bonheur.

Elle mangeait le midi toujours au même endroit, dans  une brasserie proche du bureau. Un jour une voix masculine l’apostropha en ses termes.

  • Puis je m’asseoir à votre table

La phrase de l’homme en noir la sortit de sa rêverie, sans savoir pourquoi les poils de ses avants bras se hérissèrent en une violente chair de poule, sa respiration s’arrêta net, elle leva les yeux la bouche légèrement entrouverte et croisa le regard de Pierre. Un sourire illumina alors son visage et réactiva sa respiration.

  • Pierre s’exclama t’elle ! Bien sûr, tu peux t’asseoir.

Un silence pesant s’installa sauvé in extremis par l’arrivée de la serveuse pour la commande. Mais le temps des explications ne pouvait plus être retardé.

  • Je ne t’ai pas rendu ton sac.
  • Les vêtements te vont bien ?
  • A merveille et à mes filles aussi.
  • Je suis content.
  • Je pensais que tu allais me demander ton sac un matin ou un soir.
  • Moi aussi, répondit-il un peu rapidement.
  • Toi aussi ?
  • Oui, je suis désolé, je n’ai pas osé. A vrai dire je te voyais passer et je sais qu’ils te vont bien.

Après une courte pause il poursuivit.

  • Je suis devenu très sauvage ces dernières années. J’avais pris la décision de t’aborder, mais tu n’es plus jamais repassée devant chez moi. Je me suis dit que tu m’évitais. Après tout tu ne me dois rien et le sac n’est qu’un prétexte.
  • Et moi qui attendais que tu le fasses.

Elle se pinça les lèvres et enchaîna.

  • Je ne te fuyais pas, j’ai un intérim de secrétariat dans ce quartier, les admin-istrations ne sont plus mon chemin pour le moment.
  • Tu sais, il m’a fallu plusieurs mois pour prendre la décision de te proposer ces vêtements, et sans que tu le saches tu faisais partie de ma vie.
  • Partie de ta vie ?
  • Oui, quand tu as un projet, un but, un espoir, ta vie n’est plus là même. On dit que l’espoir fait vivre, c’est tellement vrai. Une personne très pauvre peut rogner sur son budget de nourriture pour se payer sa loterie du samedi, car elle se crée par la même, un espoir de vie meilleur. Sa semaine est bercée par l’espérance qu’elle gagne samedi prochain. Bien sûr samedi après samedi elle perd son argent, mais samedi après samedi elle espère, vibre et colore sa vie de doux rêves de richesse que son travail ne lui apportera jamais. Mon désir n’est pas l’argent. Chaque jour j’échafaudais une rencontre avec toi et je me disais que ce n’était pas le bon moment, alors je reportais et je reportais encore et encore. Et plus je reportais et plus j’imaginais, plus tu prenais une place sans le savoir dans ma vie. Le réel est une douloureuse épreuve car il me  confronte à ta réaction. C’est comme si la loterie pouvait subitement devenir interdite.  J’espère ne pas avoir été ridicule à tes yeux, il fallait que je te dise tout cela. Rien n’était prémédité car c’est le hasard qui nous a réunis.
  • Alors pendant tout ce temps, ‘un charmant jeune homme’ pensait à moi.
  • Je ne sais pas comment je dois prendre le ‘charmant jeune homme’, on va considérer que c’est un compliment sur la fraîcheur de mon physique ; je vais donc t’inviter courtoisement à un barbecue dimanche avec tes filles, j’aurai mon fils ce week-end, ils doivent avoir sensiblement le même âge.
  • D’accord répondit elle.

A partir de cette rencontre la vie de Myriam bascula dans le bonheur.  Une nouvelle existence lui tendit les bras. Pierre gagnait bien sa vie, il l’embaucha  à mi-temps pour son administratif sans lui faire l’aumône, il en avait vraiment  besoin. Les enfants s’entendirent à merveille. Pierre se métamorphosa également et fit enfin réellement le deuil de sa femme. Il avait couché sur le papier, en pensant à l’amour, ce qu’il ressentait  lors d’une soirée d’ivresse, englué dans ses émotions passées et dans toutes celles qu’il devait apprendre à construire.

Et maintenant, ces sensations, il les ressentait pleinement avec Myriam, il disait de l’amour :

« Elle me donne des ailes et me rend invulnérable.

Je soulève des montagnes comme des fétus de paille.

Rien, ni personne ne m’arrête, et surtout pas moi-même.

Je traque l’amour dans sa cache la plus intime. »

Le fleuriste du centre ville le connaissait bien, il avait fait sa devise du petit texte que Pierre lui avait demandé d’écrire sur son premier bouquet de fleurs, envoyé à Myriam, et ce petit jeu de mot avait sensiblement amélioré son chiffre d’affaire.

« Les fleurs poussent lorsque l’on sème et s’offre pour la même raison. »

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Le rêveur épisode 1 / 3


Tiré du recueil de nouvelles « une autre façon d’aborder l’étrange »
par Bruno Le Guen (2007)

Feuilleton épisode 1 / 3

Le rêveur.

Première partie.

Jean.

Les portes claquèrent, au réel comme au figuré, le regard de Myriam n’avait plus rien à voir avec celui de l’amour. Etait-ce l’usure du temps ? Comment une pareille métamorphose était-elle possible en l’espace de 17 ans. Jean se souvenait, fuyant le présent, se réfugiant dans le passé, tout en ne croyant plus à l’avenir. Il se souvenait,  il avait rencontré sa femme sur Internet  …

Ce matin au bureau, le mail qui clignotait sur son écran plat, le mettait de très bonne humeur. Elle avait répondu, cette Tatiana qui s’appelait en réalité Myriam et qui dialoguait avec lui depuis au moins une dizaine de jours sur un site de rencontre pour célibataires. Ce contact égayait sa nouvelle vie de célibat. Il venait récemment de rompre et repartait à la ‘chasse’. Un sport qu’il pratiquait régulièrement tous les quatre ans. Ces unions butaient immanquablement sur cette barrière temporelle. La tristesse de la rupture lui faisait perdre plusieurs kilos et son obstination l’orientait vers son poids mythique de 82 kg pour 1 mètre 82. Le temps du laisser aller se terminait et la quête de l’amour justifiait cet effort, une balance digitale lui servait quotidiennement d’arbitre.

ait répondu oui, et ils allaient se rencontrer ce soir au bar du marché à Versailles.

Une fois les signes distinctifs repérés et profitant de son anonymat, il dévisagea, rapidement, la jeune femme. Son aspect extérieur avantageux déclencha le feu vert de la rencontre.

  • Bonjour … Vous êtes … Vous êtes Myriam ?
  • Et vous Jean, je présume ?
  • Oui Répondit-il bêtement.

Il s’assit en face d’elle, sûr de lui, la conversation démarra. Au bout d’une heure ils se connaissaient par cœur mais sans le cœur.

  • Divorcé, divorcé.
  • Un enfant, un enfant.
  • Un chien, pas de chien, mais oh ! Qu’il est mignon sur la photo le petit chien gentil.
  • Bac+2, bac+2.
  • Fonctionnaire ? Personne !
  • Chef d’entreprise, cadre commercial.
  • Cinéma ? On s’en moque.
  • Croire en Dieu, oui et en plus le même.
  • La nature, oui, j’adore, mais sans les serpents, les araignées, les bêtes diverses, les herbes, les ronces, la boue et la terre, mais la nature bien sûr.
  • L’ordre, oui je ne peux vivre sans lui mais avec la concession de la chaussette qui traîne. La première rencontre se fait toujours sous l’égide de la ‘sainte concession’. Par la suite, bien souvent cela se gâte.

Et le sexe dans tout cela où est-il ? Il est sous entendu, le papa même de la concession. Il est comme Dieu, omniprésent (présence constante en tout lieu), omnipotent (dont l’autorité est absolue, tout puissant), omniscient (qui sait tout ou paraît tout savoir). Il n’y a pas que l’argent qui est le nerf de la guerre, là, il s’agit d’Amour et que d’amour.

  • Je peux te poser une question indiscrète ?
  • Oui dit-il, si tu le souhaites.
  • Cela fait combien de temps que tu n’as pas fait l’amour ?
  • Il me faut un moment de réflexion … Humm … cela doit bien faire au moins 20 heures.
  • 20 HEURES ! mais… mais …
  • Attends, tu ne penses quand même pas que je suis un moine. J’ai 31 ans. J’ai du faire plus de 2000 fois l’amour depuis que mon père et ma mère l’ont fait pour moi. C’est bien les femmes cela. Je suppose que l’abstinence te concernant est beaucoup plus longue mais ce n’est pas un critère. A nos âges le temps passe de plus en plus vite et avoir ce type de conception est un gâchis. Suppose … le dernier verre … chez toi … on passe la nuit ensemble et alors. Dans le meilleur des cas tu diras à tes copines que tu as passé une nuit d’enfer avec un mec qui t’a fait grimper au mur toute la nuit, dans le pire, tu leur diras que tu t’es faite sauter par un nul, qui soit, n’a pas pu bander ou qui est parti en deux secondes dans les rideaux. Avec toutes les phases intermédiaires où, logiquement je devrais me situer. La belle affaire. Car ce qu’il y a d’important n’est pas cette nuit, mais le fait de savoir si l’on veut la renouveler encore et encore, année après année.
  • En résumé je dois me faire sauter ce soir.
  • Ce soir, ne précipitons rien, tu pourrais me faire peur, tu sais un homme c’est fragile. Mais la prochaine ou l’autre prochaine, il faudra bien. Le sexe c’est la porte d’entrée des adultes de nos âges. Et plus nous sommes adultes et moins nous n’avons de temps à perdre. Finalement tu as peut-être raison, pourquoi pas ce soir.

Voilà comment cette idylle avait débuté et maintenant  ils avaient deux enfants, tous les deux en colonies de vacances.

Mais dix sept années plus tard, le regard de Myriam ne reflétait plus les mêmes sentiments.

  • T’es vraiment qu’un pauvre con.

L’insulte cinglante, brève, dépouillée et erronée le ramena à la dure réalité d’un couple finissant. D’autres propos tous aussi acerbes fusaient bruyamment autour de lui mais il ne les entendait plus. Il connaissait hélas la chanson, parce qu’il avait brisé le bouchon du carafon de grand mère, renversé le sel, zappé le rendez-vous chez le coiffeur, oublié l’anniversaire de la connexion Internet… L’usure… il n’avait plus la même fougue pour faire des concessions. Ce soir, la crise était spécialement violente, une collègue de bureau avait eu la mauvaise idée de l’appeler chez lui, il n’y avait rien entre elle et lui, juste un jeu, une connivence, un peu d’air frais, mais rien de plus. Cette simple joie de vivre mit  le feu au chapitre de la jalousie, et ce feu là ne s’éteignait pas facilement.

La soirée se termina par une chambre à part, lui dans l’officiel et elle dans la chambre d’amis, une chambre d’amis qui n’en voyait guère.

Le sommeil l’ignorait savamment mais petit à petit la fatigue gomma ce mal être. Elle emporta la mise et l’entraîna dans le royaume de Morphée. Entre deux eaux, entre deux mondes.

« Il sentit alors un corps chaud, souple, s’incrustant contre le sien. Il se réveilla et croisa le regard de Miriam, il n’eut pas le temps de s’interroger car sa langue força ses lèvres, goulûment, à lui couper le souffle. Son ventre s’enflamma instantanément, la jeune femme le plaqua sur le dos et s’empala sur lui,  sonnant le départ d’une réconciliation inattendue. Tant dans le fond que dans la forme. Il y avait bien longtemps que l’intensité avait fui leurs rapports conjugaux. »

6h45 le réveil sonna, encore ensommeillé, il l’éteignit de sa main gauche tout en laissant sa main droite tâtonner l’autre partie du lit, le froid des draps finit par le réveiller. Il ouvrit les yeux, seul, il était seul dans le lit. La réconciliation, l’amour, un simple rêve. Sa tête retomba sur l’oreiller, dépitée. Myriam dormait ou faisait semblant de dormir, porte close dans la chambre d’amis. Il se lava sans bruit et s’habilla rapidement. Il ne souhaitait pas longer les murs, éviter les regards, son rêve intense restait présent dans son âme et son corps. Il ferma la porte au moment précis où celle du bout du couloir frémissait, une minute plus tard la voiture quittait le village. Il pensait avoir évité le pire, mais il ne le savait pas encore, le pire était à venir.

Tout à ses déboires conjugaux, Jean ne s’était pas aperçu que son monde professionnel se dégradait. Son manque d’attention et de zèle détériorait ce qu’il pensait être un havre de tranquillité en comparaison avec ses soirées mouvementées. Sa collègue et amie l’avait snobé sans pour autant le perturber. La matinée se passe à son insu, le midi il resta seul, personne ne se proposant pour déjeuner avec lui.

Un livreur frappa à la porte.

  • Bonjour, j’ai un colis pour vous.
  • C’est bien mais le service réception est parti déjeuner, il va falloir attendre 14h00.
  • Oh non ! ne me faites pas cela.
  • Je suis désolé je n’ai pas l’autorité pour signer.

Très exceptionnellement, c’était un livreur au féminin, d’habitude la masculinité des intervenants le laissait froid, mais là devant la moue déconfite et charmeuse, il se rua sur le tampon et valida sans même regarder le colis…

  • Jean, Monsieur le directeur te demande
  • Oui j’y vais

Il frappa et entra dans le saint des saints.

  • bonjour Monsieur le directeur, lança-t-il

Il n’eut pas immédiatement de réponse à son bonjour, d’ailleurs il n’en eut pas du tout. Le directeur, la mine sombre, tenait dans sa main droite un reçu de livraison, Jean pâlit.

  • C’est votre signature
  • Oui
  • Je ne comprends pas
  • C’est qu’elle était … elle était … Jean lui expliqua la situation.
  • Je comprends vos motivations.
  • Merci
  • Ce que je ne comprends pas c’est que la livraison attendue consistait en un serveur et un écran plat vingt et un pouces tactile. Où est-il ?

Jean ne répondit pas, et oui que répondre ? Qu’il ne disposait pas de toute sa tête, que rien ne tournait rond. Evidemment, en temps normal, l’absence de l’écran noté sur le bon ne serait pas passé inaperçue. Il ne travaillait pas bien, mais là…

  • Notre fournisseur affirme qu’ils ont livré l’écran, je ne sais quoi décider mis à part de le payer deux fois. Quittez ce bureau s’il vous plait.

Il s’exécuta et dût traverser la salle commune devant de nombreuses paires d’yeux. Au bon milieu de sa ridicule traversée, la voix du directeur s’éleva et le jugement tomba.

  • Jean quand on est rien on ne fait rien !

Cela dépassait le stade du ridicule, il se sentait mentalement détruit, discrédité devant tous ses collègues. La journée s’éternisa pour se terminer dans la confusion et le désarroi.

Jean venait de passer le pas de la porte et fut fauché de plein fouet par l’agressivité du contexte familial. Blessé, trahi,  meurtri, il réagit violemment et une nouvelle nuit de solitude, dans la chambre conjugale, s’annonçait. Une fois seul dans son lit, Myriam dans la chambre d’amis, le trop plein d’émotion le terrassa, il sombra dans le sommeil où l’attendait l’emprise des rêves.

  • Bonjour Jean, lui assena son directeur avec un sourire scotché sur son visage.
  • Bonjour Monsieur le Directeur, répondit il
  • Nous sommes seuls dans mon bureau et dans ces circonstances vous pouvez m’appelé Marc.
  • Bonjour Marc, répondit il, Jean, vous êtes mon meilleur vendeur, Barthélemy a validé sa commande par un chèque d’acompte de 20%, félicitations, là vraiment chapeau bas. Je pensais que ce dossier n’aboutirait pas et vous l’avez récupéré de main de Maître.
  • Ah …
  • Bien sûr, votre taux de commission passera à 7%, dès la prochaine affaire. Je vous confie le dossier Luxor, tenez. Vous pouvez aller l’étudier chez vous cet après-midi, où demain comme vous voulez. Peu importe le flacon … comme disait …
  • Alfred de Musset
  • Oui, oui tout à fait c’est lui … Allez bon courage…

Il quitta le bureau de la direction, le dossier Bleu ciel sous le bras. Ici tout le monde savait que le bleu ciel colorait les affaires de la plus haute importance, accompagnées d’un nombre de zéro impressionnant. La secrétaire en poste à la photocopieuse le couva du regard, il lui sourit mécaniquement, ce qui la mit au bord de la pâmoison.

 « Il quitta la société et se dirigea vers son domicile et entra volontairement sans bruit en jouant de cette heure inhabituelle. Des clapotis dans la salle de bain, Miriam estomaquée de le voir parader avec son dossier bleu ciel l’attira vers elle et le fit basculer dans la baignoire, tout habillé. Les ébats qui s’en suivirent s’inscriront au Panthéon  des bizarreries d’un couple  sur la même longueur d’onde. »

Le réveil de son téléphone interrompit sa nuit et son rêve érotique. Il se réveilla dans tous ses états, se souvenant parfaitement et intimement de son rêve.  Il mit un certain temps à comprendre qu’il devait se lever, éviter de croiser Myriam dans le couloir et affronter les railleries de la secrétaire au bureau. Sa langue devint plus pâteuse que d’habitude. Terrorisé, il ne bougea pas et s’assoupit.

« La Miriam de ses rêves ressuscita, la scène irréelle et intensément excitante se poursuivit… »

La sonnerie du téléphone se réactiva et sonna à nouveau.

  • Alors explosa Myriam, qu’est ce que tu fais, bouge tes fesses gros

Jean se leva plus pour fuir autre chose, son rêve inscrit au fer rouge dans son cerveau, il quitta la maison sous les invectives, son sexe bêtement en érection.

Il conduisit comme un automate et faillit provoquer plusieurs accidents. Dans un accès de lucidité, il s’arrêta sur le bord de la route et coupa son moteur. La vie autour de lui s’activait, une jeune femme poussant un landau, deux amoureux se promenant main dans la main, un homme en costume noir et attaché-case aux pas rapides et décidés, une contractuelle lorgnant avec insistance sa voiture. La vie quoi … Il se sentait pris entre deux mondes mais décida d’affronter le monde réel, celui de sa vie professionnelle. Son moteur vrombit au moment précis où une femme sortait un carnet à souche de sa poche.

9h, il entra dans sa société, ni en avance, ni en retard, la tension était palpable. Son Directeur se dirigea directement sur lui, Jean blêmit.

  • Bonjour Jean
  • Bonjour Monsieur le Directeur
  • Oui Jean, j’ai été un peu trop dur avec vous hier. Veuillez m’en excuser, mais vous l’avez vraiment cherché. En finalité notre four-nisseur a accepté de reconnaître son erreur de livraison et l’écran arrivera ce matin.

Il lui tendit une main que Jean serra.

  • Bon, maintenant au travail tout le monde.

La journée se passa sans esclandre. Un ronron soporifique, apaisant et surprenant en pensant au contexte de la journée d’hier. 18h il quitta le bureau, ni trop tôt, ni trop tard et reprit la direction de son domicile à la manière de quelqu’un qui rentre à reculons. Il respectait les limitations de vitesse et voire, roulait en dessous, s’arrêtant au feu orange et prenait son temps au feu vert. Tout ce qui l’énervait en temps normal venant des autres. Les klaxons des hommes pressés de retrouver leurs femmes glissaient sur ses oreilles bouchées par un calme de pacotille. Il finit malgré tout par arriver chez lui.

Myriam l’attendait.

  • Jean, notre comportement est par trop idiot, nous n’agissons pas en adultes.

Il ne se rappela plus ce qu’il répondit tant la surprise fut intense et de fil en aiguille la soirée se mit à ressembler à une pièce de théâtre. Les minutes s’égrenèrent inexorablement. Ils se couchèrent et firent l’amour, Myriam avait l’air d’être heureuse, simulation ou réalité, il ne le savait pas. Quand elle s’endormit la tête au creux de son épaule, il comprit enfin et la rejoignit dans le sommeil.

Un matin une paire d’yeux étonnés et concentrés fixaient une voiture en stationnement douteux, et une main se préparait à dégainer le carnet à souche, car le cerveau qui se nichait sous la casquette pensait sérieusement à de la provocation.

Jean, moteur arrêté, ne s’apercevait pas du risque qu’il courait devant la contractuelle, car il pensait.

Cela faisait plusieurs jours que la crise était passée et depuis, l’intensité inégalée de ses nuits avait disparu. Il rêvait à des journées professionnelles d’une redoutable banalité et la Miriam de ses rêves était devenue insipide.

Le crissement de l’amende sur son essuie glace le sortit de sa torpeur méditative. Il ne put s’empêcher de lâcher  un juron bien senti, Il mit le contact et démarra. Il venait de prendre une décision venue d’on ne sait où mais qui allait bousculer sa vie, je vais tirer le diable par la queue.

Sa journée au bureau fut un véritable cauchemar et ce de son propre fait car il fit tout pour que cela se passe le plus mal possible.

  • Bonjour Jean fit le directeur.

Aucune réponse, il fila vers son bureau et s’affaira sans prêter attention à personne. Il se connecta au travers du réseau sur le serveur de dossier et supprima volontairement le dossier des contrats et vida sa corbeille informatique, puis attendit.

Très rapidement le plateau entra en effervescence.  Le dossier des contrats avait disparu, une réunion collégiale s’ensuivit.

  • Quelqu’un a t-il travaillé sur le dossier des contrats ce matin ?

Silence, Jean prit la parole :

  • Moi, j’ai copié par erreur ce dossier sur mon disque dur, mais je l’ai effacé en m’apercevant que je m’étais trompé de dossier.
  • Copié ? Mais depuis il a disparu du serveur.
  • J’ai peut-être fait une mauvaise manipulation.
  • Mais j’hallucine, le dossier des contrats.

Il demanda immédiatement à l’informaticien de le remettre en place et fusilla Jean d’un regard noir à peine maîtrisé. Cela faisait bien une bonne heure que tout le monde perdait son temps. Cinq minutes plus tard l’informaticien livide revint.

  • Monsieur sa corbeille est vide

–     Et alors ?

  • Quand sous Windows vous supprimez un fichier et que vous videz votre corbeille, le fichier ne peut plus être restauré. Et là, toutes les conneries ont été faites en même temps, c’est plutôt rare.
  • Que faire alors ?
  • Repartir de la sauvegarde de la veille, ou appeler la société qui externalise pour vous vos sauvegardes. Tout rentrera dans l’ordre mais il me faut un peu de temps, et cela va générer des frais.

Effectivement, en début d’après midi le problème fut résolu, les lumières brillèrent plus tard que d’habitude, les collègues de travail rattrapaient le temps perdu, Jean lui, quitta à 17 H 50, en avance. Ce qui finit d’aiguiser les animosités. Il avait atteint la première partie de son objectif, passer une journée professionnelle exécrable. A Myriam maintenant, se dit-il les yeux obscurcis par une ombre malsaine.

Tandis que sa voiture s’éloignait, dans un des bureaux encore éclairé une secrétaire tapait sa lettre recommandée.

  • Bonjour chéri, tu rentres plus tôt aujourd’hui, il y a un souci ?
  • Oui mais cela ne servirait à rien de te l’expliquer, tu ne comprendrais rien de toutes manières, d’ailleurs tu n’as jamais rien compris au monde du travail. J’ai hâte que nos deux enfants reviennent de colonie de vacances, là au moins tu serviras à quelque chose …hier soir au lit, j’ai trouvé moyen ta simulation sexuelle de réconciliation.

Jean passa deux heures à cracher du venin et Myriam entra dans l’engrenage de la colère. Jamais relation n’avait été aussi déplorable et comme prévu, chacun coucha dans sa chambre. Une fois seul, il fit le vide et implora le sommeil.

  • « Mon amour, te voilà enfin, elle sauta dans ses bras avec fougue. Sous le choc sa mallette tomba et s’ouvrit, déversant un flot de dossiers. Le temps passe tellement lentement quand tu n’es pas là, dit-elle pour s’excuser

 Comment lui en tenir grief pensa t-il en remettant de l’ordre dans ses papiers. En plus le jour où son Directeur lui avait confié la responsabilité du service. Elle explosa de joie en apprenant la nouvelle. Une carte en provenance des enfants finissait de colorer la journée, des bougies illuminaient la table déjà dressée et un parfum insoutenable  le faisait saliver.

  • J’ai une faim de loup, rugit il.
  • Alors viens à table répondit elle en soulevant sa jupe, affichant ostensiblement l’absence chronique de petite culotte. »

      Jean se réveilla de très bonne humeur, sa double vie onirique le comblait. Maintenant il en avait la preuve, sans savoir pourquoi, et par quel stratagème,  ses rêves se déroulaient à l’inverse de la réalité. Alors pourquoi se poser des questions, il lui suffisait de dormir et dormir encore pour trouver le bonheur. Au diable le reste.

Il croisa les yeux cernés de Myriam, dehors il pleuvait. La noirceur poisseuse de la nuit résistait, annonciatrice d’une mauvaise journée. Il pensa à Miriam et sourit, à celle qui attend son retour, la muse de son sommeil. Il quitta le domicile sans un mot et alla acheter des calmants à la pharmacie voisine, bien vite de retour, il téléphona à son bureau pour dire qu’il ne souhaitait pas venir travailler aujourd’hui. Comment cela ‘souhaiter ?’ répondit une voix Il raccrocha et prit le temps d’agresser sa femme avant d’avaler un somnifère et d’aller se coucher.

  • « Bonjour mon amour, tu rentres de bonne heure aujourd’hui
  • Oui et à compter d’aujourd’hui cela sera comme cela
  • Génial, je respire beaucoup mieux quand tu es là. »
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La petite souris 3 / 3

Tiré du recueil de nouvelles « une autre façon d’aborder l’étrange »
par Bruno Le Guen (2007)

Feuilleton épisode 3 / 3

Une souris, une souris.

Bruno photographia avec effort la scène, Natacha sur un rocher et au-dessous d’elle, une souris hagarde au comportement bizarre. Son sang ne fit qu’un tour. Il se rua sur le petit animal sans défense et l’écrasa avec une lourde pierre, avec rage et acharnement. La souris fut rapidement réduite à un petit tas sanguinolent et informe qu’il finit de disperser avec le talon de sa chaussure.

Natacha vomit son déjeuner.

La scène de ménage qui s’ensuivit sur la barbarie de son acte le laissa sans réponse, il courba l’échine, sous la vindicte de sa femme et de son fils. Mais dans son for intérieur, son acte représentait une preuve d’amour car il leur avait sauvé la vie. Seul Hermès très compréhensif léchait l’endroit du carnage.

Le jour venait de se lever sur le village de Mantet, dans les Pyrénées Orientales. Bernard démarrait sa jeep et partit sur la piste en direction de la rivière, il se rendait sur ses herbages où son troupeau d’une douzaine de chevaux l’attendait. Il se gara comme à l’accoutumée en lisière de forêt, il valait mieux pour lui descendre les bras chargés et remonter les mains libres. Il allait commencer son travail matinal mais il s’aperçut que la forêt avait été sérieusement détériorée, sa clôture écrasée, plusieurs sapins à terre, brisés, déracinés ou simplement couchés.

Par qui ? Par quoi ? Pourtant il n’y avait eu ni tempête, ni tornade la nuit dernière, le temps était au beau fixe depuis plus de deux jours. Pour une fois,  la tramontane et le vent marin se tenaient tranquilles.

Des trous marquaient le sol, des trous espacés de plusieurs mètres. Peu habitué à ce type d’expertise, d’analyse de la nature, un catalan n’étant pas un sioux, Bernard restait perplexe. En se retournant côté herbage, le phénomène gagna en lisibilité. L’herbage avait enregistré des empreintes, aucun doute là dessus. Elles se dirigeaient vers la forêt et la chose l’avait massacrée. Bernard prit son courage et son fusil à deux mains et décida de suivre la piste. Il se munissait toujours d’une arme soigneusement cachée dans la jeep ; une ancienne habitude de ‘braco’.

La traque l’amena par delà les premières cimes et continua dans les herbages sur l’autre versant.

Hallucinant.

Les marques devenaient de plus en plus grandes et profondes, au fur et à mesure de sa progression. Ce qui l’interpellait encore plus, et cela fut confirmé dans les herbages de l’autre versant, était  que les traces, à partir d’un certain niveau, se mirent à rétrécir, à devenir de moins en moins grandes et profondes. Inexplicable. Arrivé en sortie de forêt, de l’autre coté du mont, il eut confirmation de cette sensation, les marques devenaient effectivement de plus en plus petites pour ainsi disparaître.

Bernard se lança dans une analyse méthodique du phénomène, se munissant d’un mètre et d’un appareil photo. A quatre pattes dans l’herbe, il mesurait les empreintes les plus infimes, dérangeant les sauterelles, et même un petit rongeur qui s’enfuit en couinant.

Ce travail ne lui apporta pas la renommée, s’il l’avait su, il ne l’aurait certainement pas entrepris. Malgré tout, il contacta les journaux, le plus souvent, ils ne donnèrent pas suite à son histoire. Il finit tout de même par avoir son article, en attirant l’attention d’un quotidien régional.

Et en finalité, le dossier qu’il remit au média, au journal local, l’Indépendant, lui valut un petit article en septième page. Celle de Prades et sa région, coincé entre les exploits sportifs du club de Sahorre, en division d’honneur et la disparition de trois randonneurs et d’un petit chien dans le massif de Mantet.

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La petite souris 2 / 3

Tiré du recueil de nouvelles « une autre façon d’aborder l’étrange »
par Bruno Le Guen (2007)

Feuilleton épisode 2 / 3

Les randonneurs rangèrent leurs effets, ils voulaient quitter ce lieu sans attendre.

Les préparatifs du départ furent stoppés par un bruit sourd en provenance de la pierre, elle vibrait et sur son pourtour, l’air avait pris une teinte grisâtre. La panique gagna le groupe, ils abandonnèrent tout sur place et fuirent dans la montagne, trois cents mètres de découvert les séparaient de la forêt protectrice.

Le rythme de la fuite était soutenu, mais en montagne la notion de distance et de temps ne faisait pas bon ménage, trop de temps englouti pour peu de distance parcourue. Un sifflement les glaça, ils s’abritèrent derrière un bloc tombé du sommet et épièrent, Bruno prit ses jumelles qui pendaient bêtement  autour de son cou. Il les régla sur la rivière, le halo avait tourné au noir, au noir aile de corbeau. La métamorphose. Le rocher se souleva brusquement et retomba quelques pas plus loin, se brisant en trois, un nuage de poussière brouilla la scène. L’énorme petite souris se transforma en une masse diffuse. Sous l’optique de ses jumelles : un être difforme. Il distinguait quatre pattes et une queue. La tête et le corps en forme de galette. Le choc mortel n’avait fait que changer la forme de l’animal sans pour autant le détruire. Les yeux  dissymétriques, la mâchoire désaxée. Bruno eut la sensation que son regard croisait celui du monstre, une nouvelle transformation s’annonçait, un répit, la course éperdue et salvatrice reprit en direction de la forêt.

Au moment même où ils atteignirent l’orée, le souffle court, la bouche sèche, le cœur battant la chamade, la rivière se manifesta bruyamment. Ils se retournèrent d’un seul bloc, la souris assise sur son arrière train, prenant la position d’une marmotte géante, son crâne culminant à plus de trois mètres, un petit être se débattant dans sa patte gauche. Bruno fit le point avec ses jumelles, il eut à peine le temps de voir Hermès mourir, bravement, dans la gueule béante. Le monstre se mit en branle dans leur direction, d’abord lentement, puis très rapidement. Bruno hurla

Dispersons-nous dans la forêt.

La bête hideuse était à moins de cinquante mètres quand une nouvelle crise la figea sur place. Une poignée de secondes gagnée pour se cacher, pour affronter un monstre encore plus gros.

Natacha et Antoine, dissimulés ensemble derrière un tronc d’arbre n’avaient pas écouté l’ordre. La souris entra dans la forêt, les arbres grincèrent, gémirent, d’autres s’effondrèrent sous le passage du mustélidé. Elle se dirigea directement sur le groupe de deux, tout en ayant situé l’autre proie. Le nombre devait l’attirer. Les pattes avant eurent tôt fait de s’emparer des deux humains oubliant une jambe au passage, sectionnée par les griffes géantes. Le membre abandonné siégeait debout, le long du tronc à moitié déraciné. La souris ne la laissa pas longtemps en ce lieu, affamée, elle ne négligeait aucune source de nourriture. Son premier carnage terminé, elle se rua sur le plat de résistance. Elle mit un peu plus de temps car l’homme fuyait en courant et en zigzaguant entre les arbres. La chasse était inégale, la patte se saisit de Bruno, sans le tuer et le porta à sa gueule.

Bruno se réveilla en sueur de son cauchemar, Natacha hurlait, jonchée sur un rocher.

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La petite souris 1 / 3

Tiré du recueil de nouvelles « une autre façon d’aborder l’étrange »
par Bruno Le Guen (2007)

Feuilleton épisode 1 / 3

La petite souris.

Enfin arrivés les randonneurs posèrent avec joie leurs lourds fardeaux qu’ils se promirent d’alléger à l’aide de leurs maxillaires. Ils étaient affamés et assoiffés. La petite rivière crépitait à leurs pieds. Un arbre dispersait généreusement un halo d’ombre vivifiante, et les rochers lisses, sièges idéals pour contempler la montagne environnante, les attendaient. La rivière fendait tel un coup de poignard le relief et de part et d’autre, les pentes reprenaient leurs droits, d’abord en alpage, puis en foret d’épineux qui coiffait chaque mont comme pour leur éviter une insolation.

Le repas se déroula paisiblement. Les allées et venues au lit de la petite rivière pour poser et reprendre la bouteille d’eau, ainsi toujours fraîche, se firent de plus en plus pénibles. Se lever, se rasseoir ; l’heure d’une sieste bien méritée dans l’ombre soporifique d’un feuillu s’annonçait.

Le petit groupe se dispersa: l’homme, Bruno, la femme, Natacha, l’adolescent, Antoine et le canidé, Hermès, teckel à poil dur de son état. Chacun choisit son endroit le plus accueillant pour se reposer. Bruno se laissait bercer par le bruit de l’eau. Il regardait la montagne, à l’envers, allongé sur le dos. Le ciel d’un bleu limpide tranchait avec les cimes lointaines et les vallons intermédiaires ajoutaient une troisième dimension. Était-ce la mer qui grignotait la côte, était-ce le ciel ? Cette sensation indescriptible de paix devant cette perte harmonieuse de repère l’amenait progressivement à la détente,  porte du sommeil.

Soudainement, un cri strident le fit sortir de sa torpeur.

Hiiii Hiii une souris.

Bruno instantanément sur ses pieds, ajusta sa vision et fixa la situation, Natacha debout sur un rocher et juste au-dessous d’elle, une petite souris. Il eut un sourire bienveillant.

Natacha, tu as bien fait de te mettre à l’abri de ce prédateur, d’autant plus qu’elle ne me semble pas normale. Elle a un comportement étrange, elle doit sûrement être malade. Je vais mettre un terme à ses souffrances.

Ceci dit, Bruno chercha un morceau de bois suffisamment solide pour la tuer d’un coup fatal et unique. Au bord du cours d’eau, ce type d’instrument est plutôt rare et un rocher aurait été plus adapté, mais il fallait aussi que cette souris meurt proprement, et d’une manière aseptisée. Natacha et Antoine étant témoins de cette mise à mort. Bruno jeta un bref coup d’œil à la souris pour s’assurer que la donne n’avait pas changé. Et là, son regard s’arrêta comme scotché par ce qu’il voyait. L’incrédulité qui s’inscrivait sur les visages de ses proches lui confirma qu’il n’avait pas d’hallucination.

Hermès, les poils hérissés, commençait à gronder.

La petite souris, désormais, avait la taille d’un rat, les randonneurs, figés, regardaient le spectacle.

L’animal tremblait, tressautait, bavait, émettait des bruits sourds, inqualifiables. La bête vibrait, ses formes et contours n’étaient pas nets, voire diffus. Pour être plus précis, la souris, elle-même était bien définie, mais l’air autour d’elle se densifiait, prenait une couleur tirant vers le gris, de plus en plus foncé, pour atteindre le noir, le noir d’ébène. A ce stade l’animal pris de spasmes tournait comme un derviche faisant voler pierres et poussière, puis brusquement se figeait. Le halo noir disparaissait et la souris l’intégrait dans ses formes précises, grossissant à vue d’œil, tandis qu’autour d’elle, l’air grésillait à nouveau, une nouvelle aura maléfique se formait, présageant une terrible métamorphose.

Le cycle diabolique devint clair pour tout le monde, cette découverte pétrifia Natacha et Antoine, apeura Hermès, Bruno se décida à agir. Il fallait détruire cette chose, tant qu’elle était encore vulnérable. La petite souris avait atteint la taille d’un gros chat et son aura grise ne présageait rien de bon.

Bruno chercha avec frénésie un rocher suffisamment gros pour l’écraser, et léger pour le soulever, un rocher posé sur le sol, non englué dans une gangue de terre ou d’herbe. Il finit par trouver ce qu’il cherchait, banda ses muscles, l’arracha de toutes ses attaches terrestres, le désolidarisant de la montagne. Malgré tout il ne pouvait soulever à lui seul ce roc, il interpella Antoine qui sortit de sa mortelle torpeur. A eux deux, ils décolèrent le roc et le portèrent au-dessus du monstre. Celui-ci arrivait à son stade final, la noirceur annonciatrice se précisait, il ne s’agissait plus de la taille d’un chat, mais de celle d’un renard.

Dans un effort ultime, ils soulevèrent au plus haut la lourde pierre, et simultanément la laissèrent choir sur l’animal. Le bruit fut écœurant, le silence se fit, assorti du halètement provoqué par l’effort. La taille de la pierre masquait l’être écrasé dessous, en bordure, des rigoles de sang allaient mourir dans la poussière.

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Un jour pas comme les autres, épisode 3 / 3

Tiré du recueil de nouvelles « une autre façon d’aborder l’étrange »
par Bruno Le Guen (2007)

Feuilleton épisode 3 / 3

L’avenue parisienne était largement éclairée et totalement déserte. Seuls quelques maîtres s’adonnaient à la corvée canine un sac plastique à la main. Bientôt, il ne croisa plus personne. Il marchait, l’effort physique et le froid l’empêchaient de réfléchir. Venant de derrière lui une ombre le dépassa, le promeneur arriva à son niveau, fit quelques mètres, puis s’arrêta et se retourna en s’exclamant :

  • Paul, mon ami, quelle heureuse surprise !

Paul quitta ses pensées et dévisagea l’inconnu, incrédule. Il sentit la main de l’homme dans la sienne. Cette situation l’étonna. Il l’avait lui-même provoqué des centaines de fois. Et cette nuit là il n’en était pas l’initiateur. La poignée de main se fit insistante. Rien ne se passa, pas de flash. Son interlocuteur devait être particulièrement inculte pour que strictement rien ne se passe. Inculte, qu’est ce que cela veut dire, le flash de quoi ?

  • Bonjour Monsieur, je … je vous connais ? bredouilla Paul.
  • Non, vous ne me connaissez pas, je suis un collecteur.
  • Un collecteur, je ne comprends pas.
  • Plus simplement je relève les compteurs.
  • Relever les compteurs, je ne comprends pas.
  • Mon pauvre ami, je crains que désormais vous ne compreniez plus grand chose.
  • Je ne comprends pas.
  • Au revoir Paul, le plaisir était pour moi.
  • Je ne comprends …

Paul reprit son chemin d’un pas hésitant et l’étranger disparut dans la nuit. Il marcha d’un pas lent et finit par heurter un lampadaire. Il continua de marcher, mécaniquement, son corps bloqué par le luminaire. Petit à petit il s’arrêta de marcher, ses genoux fléchirent et il glissa un bras de chaque coté du tube d’acier, son menton frottant sur le métal. Enfin ses genoux heurtèrent le sol, sa tête basculée en arrière, ses yeux grands ouverts fixaient les étoiles.

C’est dans cette posture qu’il fut découvert par un badaud du matin. L’alerte vite donnée, l’ambulance arriva quelques minutes plus tard, les ambulanciers le couchèrent sur une civière et lui prodiguèrent une réanimation musclée et inefficace. Paul décéda à l’Hôpital du terrible mal à ce jour inexpliqué de la rupture d’anévrisme.

Un ‘homme’ dans un café parisien lisait avec intérêt l’entrefilet relatant la mort de Paul. Il le tendit à son ami qui lui faisait face.

  • Il est temps de rentrer, j’ai terminé mon travail ici, un bon client ce Paul, un puits de connaissance. Et pour toi, tout s’est-il passé comme prévu en Asie?
  • Oui, leur culture y est sensiblement différente. Nous avons dû procéder autrement, mais le résultat est le même.
  • Et tu t’en débarrasses de quelle manière ? la rupture d’anévrisme ?
  • Evidemment, ils ont même arrêté d’essayer d’expliquer cette mort, il n’y a pas plus simple et il n’y a jamais d’enquête. Comme ils le disent si bien : on ne change pas une méthode qui gagne.
  • Bon, on rentre à la maison, nous avons beaucoup de chemin à faire, nous reviendrons sur cette planète lorsqu’ils auront un plus évolué.
  • Tu as raison, rentrons, je commence à m’ennuyer.

A la plus grande frayeur du serveur, les deux hommes disparurent sans payer leur addition. La police appelée en renfort pour le calmer, dut l’interner, il tenait des propos hallucinants. Mais je vous dis qu’ils ont disparu, hurlait-il pendant que les infirmiers lui passaient la camisole.

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